Objets en voie de disparition
Je me rappelle encore de ce spot qui passait à la RTS quand j’étais tout petit. Il était destiné à éduquer les populations pour qu’elles évitent de salir la voie publique en y jetant toute sorte d’ordure. Dans ce spot, la fautive prenait pour prétexte que la rue n’appartenait à personne donc chacun pouvait y faire ce qu’il voulait. « Mbed bi mbed bour la lou nekh way def ! » Cette phrase est toujours restée dans ma tête. Peut être parce que je déteste voir le comportement de certains de nos concitoyens qui, aujourd’hui encore, perpétuent cette même pratique.
J’ai toujours en tête ces images que j’ai vues à plusieurs reprises et que malheureusement je vois encore. Cette bonne femme qui verse sa lessive ou l’eau de la vaisselle dans la rue . Cette peau de banane jetée inconsciemment sur la chaussée… Combien de personne ont du se casser la figure en marchant dessus? Ces rues de ma région natale recouvertes de déchets en tout genre pour essayer de lutter contre les inondations. Allez savoir qui à eu cette bonne mauvaise idée. Les maisons à moitié construites qui sont ensuite systématiquement transformées en dépotoirs par les riverains eux même. Autant d’exemples qui m’ont permis de prendre conscience de certaines choses alors que je n’étais encore qu’un gamin.
Il y a quelques jours, je me suis retrouvé devant un dilemme un peu particulier. J’étais dans le quartier de la Médina et il fallait que je rentre à Ouakam. J’avais trois options:
– Attendre le bus qui pouvait arriver d’une minute à l’autre voire trente minutes plus tard ou même plus,
– Prendre un « car rapide« , ces transports en commun qui n’ont de rapide que le nom et qui s’en fichent pas mal que vous soyez pressés ou non (capables d’attendre pendant plusieurs minutes pour remplir toutes les places vides),
– Marcher jusqu’aux abords de l’université Cheikh Anta Diop et ensuite prendre ces fameux « car rapides »
C’était de loin la meilleure option mais il y avait juste deux petits problèmes: il était environ 13h et j’avais un petit creux. Heureusement sur la route, il y avait une femme qui vendait des beignets. Je sortis 100 fr cfa de ma poche et me voilà avec quatre beignets qui me seront d’une grande utilité. Ce que je n’avais pas prévu, c’est que une fois que j’aurais fini de manger ces délicieux beignets, j’allais me retrouver avec ce bout de papier qui servait d’emballage. C’est là que je me suis rendu compte d’une chose assez banale mais tellement importante, les rues de Dakar n’ont pas de poubelles; ou alors, si elles en ont, elles sont très rares. Pourtant j’ai bien regardé autour de moi, il n y avait rien qui ressemblait à une poubelle. Qu’allais-je donc faire de ce bout de papier? Le jeter dans la rue comme le feraient certains sans même se soucier de la propreté des lieux? Après tout, ce n’est qu’un bout de papier; des chèvres ou des moutons finiront bien par le manger.
Non je ne pouvais pas faire cela. Je ne le voulais pas, ma conscience me l’interdisait. J’ai donc décidé de relever un défi: garder ce bout de papier jusqu’à ce que je réussisse à trouver une poubelle. Je finirais bien par en trouver une, vue la distance que j’avais à parcourir; deux kilomètres de marche c’est quand même une longue distance. A ce moment j’étais sûr qu’il me suffirait juste de parcourir quelques mètres pour tomber sur une poubelle ou au moins un carton destiné au même but. Mais j’ai vite déchanté quand après cinq minutes de marche, je n’ai rien vu. Pourtant je ne suis pas aveugle, encore moins myope, ma vue n’est pas mauvaise à ce point là. Pendant les premières minutes j’ai bien fait attention de regarder partout autour de moi, mais aucune poubelle en vue. Que l’on me rassure, les gens doivent bien savoir ce qu’est une poubelle. Alors pourquoi y en a-t-il si peu. Pourquoi personne n’a pensé à en disposer un peu partout dans les rues.
Que font la mairie, l’Etat, les sociétés de nettoyage…? Autant de questions que je me suis posées et qui sont toujours restées sans réponse. Plus le temps passait, moins j’étais concentré. Ce défi que j’avais pris à la légère était plus difficile qu’il n’y paraît. Et ce qui devait arriver arriva. Il a fallu quelques minutes d’inattention pour me rendre compte de mon échec. J’étais perdu dans mes rêveries; j’étais sans doute en train de penser à ma copine que je ne vois jamais ou étais-je trop préoccupé à massacrer de Trolls et à trucider des Goblins dans le monde perdu d’Oblivion.
Quoi qu’il en soit, lorsque je suis revenu à la réalité le papier que j’avais dans la main avait disparu. Je l’ai laissé tomber. Sacrilège!!!! Moi aussi je viens commettre la même erreur que les autres. Sur le coup je m’en suis voulu. Je me suis senti con. J’ai perdu le défi que je m’étais lancé moi-même. Mais Dakar a eu raison de moi. J’ai apporté ma petite et triste contribution en salissant ses rues.
Je ne sais pas si je dois en rire ou plutôt m’en désoler, mais ce qui m’est arrivé ce jour là m’a permis de comprendre qu’il suffit parfois de vouloir faire des choses banales pour se rendre compte de certaines réalités. Avant cet événement, je ne m’étais jamais rendu compte que les rues de la capitale manquaient cruellement de poubelles. Pourtant, il m’arrivait souvent de voir des personnes, habillées en vert, nettoyer ces mêmes rues à coup de balai. Je suis sûr d’une chose, ces personnes auraient beaucoup moins de difficulté dans leur travail s’il y avait un peu plus de poubelles et si les gens n’abandonnaient pas les sachets en plastique, les verres jetables et les innombrables autres déchets qui jonchent les rues de Dakar. Il est peut être tard pour inculquer certaines valeurs à des adultes, mais il est encore temps pour les plus jeunes. Leur faire comprendre que c’est bien de prendre soin de son intérieur mais que c’est encore meilleur d’avoir cette élan une fois dans la sphère publique. On y gagnerait tous. Mais malheureusement, beaucoup d’entre nous continue à penser comme la bonne femme dans le spot que j’avais vu quand je n’étais encore qu’un gamin. « Mbed di mbed bour la lou nekh waye def« .
PS : C’est bien beau de construire des infrastructures, des routes et tout mais c’est encore mieux d’avoir des rues propres sans déchets qui traînent par terre.
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