Chacun pour soi, les bêtes contre tous

Article : Chacun pour soi, les bêtes contre tous
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24 avril 2015

Chacun pour soi, les bêtes contre tous

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En cette période d’harmattan où il fait excessivement chaud, jusqu’à 40°, parfois même plus, il y une chose qui n’a pas manqué d’attirer mon attention, il y a énormément de bêtes qui traînent un peu partout dans le village et ses environs. A presque quatre mois du début de l’hivernage, c’est un peu sauve-qui-peut du côté de nos amis ruminants. Les stocks de foins sont presque tous épuisés et l’herbe se fait rare pour ne pas dire quasi inexistante. C’est aussi la période où les paysans ne dorment plus que d’un seul œil.

Vigilance accrue

Cela fait plusieurs jours que je ne vois plus Diodio. Cette femme avait pris l’habitude de venir tous les mercredis dans le champ pour préparer le louma (marché hebdomadaire) du jeudi. Elle venait récolter du citron qu’elle revendait le lendemain avec quelques autres marchandises glanées çà et là. Un soir alors que j’allais acheter du pain elle me reconnut malgré la pénombre et me salua avec les salamalecs d’usage. Moi comme à mon habitude, je répondais sans trop savoir à qui je m’adressais. Il faisait sombre et nous n’avions que la douce lumière de la lune pour nous éclairer. Une de ces pleines lunes qui me permet de marcher à travers les pistes enherbées sur les rebords sans avoir à allumer ma lampe torche. Et comme ça ne se fait pas de braqueur la lumière d’une lampe torche sur le visage d’une personne (si jamais vous commettez cette erreur vous risquez d’entendre voler des noms d’oiseaux)  je fis alors comme si de rien n’était.
Alors comment vont mes citrons?
En période de floraison… aah c’est toi Diodio! Ça fait longtemps. Tu étais partie en voyage?
Non je passe toute la journée dans ma parcelle sinon les bêtes vont tout gâter.

« Les bêtes vont tout gâter », j’ai l’impression que c’est la phrase du moment dans le village. En cette période de la saison sèche où il n’y a pas herbe qui pousse en dehors des champs, les chèvres et autres animaux domestiques n’ont pratiquement plus rien à manger. Les propriétaires décident donc de les libérer afin qu’ils aillent chercher eux-mêmes de quoi se nourrir. On voit ainsi fréquemment un petit troupeau de chèvres ou de moutons errer dans les anciennes parcelles de mil ou d’arachide laissées à l’abandon pendant la saison sèche. Même les vaches ne sont plus accompagnées par les bergers. Comme elles ont l’habitude de parcourir des kilomètres chaque jour pour rejoindre les points d’eau et quelques recoins encore enherbés, elles reconnaissent le trajet et peuvent d’elles-mêmes retourner à l’enclos le soir venu. Avec toutes ces bêtes qui traînent, il arrive hélas, très souvent qu’elles pénètrent dans les zones réservées au maraîchage. Quand vous avez la malchance de ne pas être sur place, vous pouvez être sûr d’une chose, c’est que vous êtes né sous une bonne étoile si vous retrouvez vos parcelles intactes.
L’année dernière par exemple, nous avions connu une expérience assez désagréable. Chaque jour ou presque, des vaches par dizaines s’infiltraient dans le domaine, sans doute attirées par l’odeur des mangues qui mûrissent vers le mois de juin. La première fois qu’on s’en est rendu compte, c’était déjà trop tard, car elles étaient reparties. Nous n’avions trouvé que des crottes encore fraîches et une parcelle de maïs à moitié détruite. La deuxième fois on a eu la chance de les détecter à temps. S’en est suivi une course poursuite endiablée à travers les arbres, branches cassées, feuilles mortes et hautes herbes pour les faire sortir. C’est fou comme ces gigantesques bêtes sont souples et rapides; moi qui n’aime pas les longues courses, j’ai vite perdu mon souffle. Nous avons eu beaucoup de mal à les repousser, mais hélas, le calvaire n’allait pas s’arrêter de si tôt. Il y eut d’autres intrusions, d’autres courses-poursuites et d’autres pertes de souffle, encore et encore et encore.  A chaque fois qu’on repère une brèche dans la clôture, on la répare, mais deux ou trois jours plus tard elles en trouvent une nouvelle. Il suffit d’un barbelé affaissé par le poids d’une branche, ou d’un poteau rongé par les termites pour qu’elles s’ouvrent un nouveau passage. Pour en finir une bonne fois pour toutes, il a fallu une journée entière de maintenance de la clôture à coup de marteau, clous, fil de fer et troncs coupés. Aujourd’hui encore, lorsque j’entends des meuglements trop proches, je ne peux m’empêcher de faire le tour pour voir si on n’a pas encore reçu de visiteurs inattendus.

Maintenant que vous avez un aperçu de nos calvaires de l’année passée, imaginez ce qu’endurent ceux qui n’ont pas de grillage entourant leur propriété. C’est le cas de Diodio et de tous les paysans. Et en plus, leurs terrains sont assez éloignés du village. Ceux qui ont la chance d’avoir une famille nombreuse peuvent alterner la garde, mais les autres n’ont d’autre solution que d’y rester jusque vers les coups de 18-19 h quand les bêtes s’apprêtent à rentrer d’une longue journée de labeur.

Des ravageurs affamés

De tous les animaux domestiques, la chèvre est de loin le plus vicieux. Tous les jours, je vois des chèvres en groupe longer la clôture à la recherche de la moindre brèche qui leur offrirait un passage vers le Graal, ou encore traîner près de l’entrée principale espérant qu’une personne, par manque d’attention, oublie de refermer la porte derrière elle. Raison pour laquelle je demande souvent aux enfants qui viennent puiser de l’eau de bien refermer la porte à l’allée comme en repartant. Comme si elles n’avaient pas jusque-là fait preuve d’abnégation, elles tenteront de passer par-dessus la clôture si cette dernière est trop basse ou alors en ultime recours, elles essayeront de passer en dessous. Il arrive parfois qu’elles y parviennent, mais cette situation se produit rarement.

Comme il est facile de détruire ce qui a pris des années à être mis en place. De la préparation du terrain, au repiquage sans oublier l’arrosage quotidien… que d’efforts fournis pour ensuite tout laisser tomber. Voir des arbres autrefois bien entretenus mourir à petit feu par manque d’eau… J’ai assisté à ce spectacle fort déplaisant il y a à peine un mois. Avant, quand je passais dans les environs, je ne pouvais m’empêcher de contempler la belle vue que nous offraient tous ces agrumes, une trentaine, bien entretenus, sans compter les manguiers plantés par dizaines dans l’autre moitié du champ. Je me disais que d’ici quatre ou cinq ans, la vue aurait complètement changé,  hélas, j’ai bien peur que cela ne se produise pas de si tôt, car du jour au lendemain, le sourga qui travaillait dans ce champ a plié bagage et s’en est allé laissant tout derrière lui. Il s’est alors produit une chose assez étonnante, les chèvres du village se sont, comme qui dirait, donné rendez-vous dans le champ désormais abandonné. Elles y entraient par dizaines broutant tout sur leur chemin. Les piments et autres légumes plantés cela passe encore, mais elles ont vite fait de se tourner vers les agrumes, les manguiers ayant atteint une taille qui les préservait de l’appétit vorace de ces petits ruminants. Il a suffi d’à peine deux semaines pour qu’elles bouffent toutes les feuilles, même celles qui étaient à une hauteur qui aurait normalement dû les épargner. Quand je vous dis que les chèvres sont des animaux vicieux, il faut les voir à l’oeuvre pour pouvoir vraiment comprendre. Entre-temps, la porte d’entrée a été fracassée et jetée par terre par je ne sais qui, facilitant ainsi le travail aux ruminants. Aujourd’hui, quand je passe dans les environs, j’ai le coeur serré, voir autant de travail réduit à néant si vite me désole. Maintenant qui n’y a plus rien à part les manguiers, seuls quelques ânes traînent pour brouter le peu d’herbe qui reste. Quant aux chèvres, Dieu seul sait quels dégâts elles sont en train de commettre ailleurs.

Diodio m’avait raconté que personne ne lui venait en aide lorsqu’elle était absente et que sa parcelle se faisait attaquer par les bêtes. Pourtant il y avait des personnes présentes juste à côté. J’ai aussi entendu des histoires similaires venant d’autres personnes. Tout ceci me réconforte dans l’idée que la solidarité se fait rare dans ce recoin du Saloum. Jadis il fut un temps où nos ancêtres étaient vraiment solidaires jusque dans les travaux champêtres. Ils choisissaient d’un commun accord un jour où c’est la famille Ndour qui allait être aidée pour qu’elle avance un peu dans ses travaux, puis ce sera au tour de la famille Sall, puis Ndiaye et ainsi de suite. Mais hélas les temps ont changé et les mentalités avec. Maintenant je comprends mieux pourquoi Pa 5 ans et demi dit souvent : « Ici c’est chacun pour soi et le diable contre tous« .

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