Cette guerre n’est pas la nôtre
AFP PHOTO/Mamadou Toure BEHAN
La première fois que mon cousin m’a annoncé cette nouvelle, je n’y avais pas cru. Je me suis dit non, ce n’est pas possible. Je ne pouvais pas comprendre ce qu’on pouvait vraiment aller faire là-bas, si loin de chez nous. Puis, plus les jours passaient, plus les choses se sont un peu plus précisées. Hier pour être tout à fait précis, c’est devenu officiel, le Sénégal va envoyer 2100 soldats pour soutenir l’Arabie saoudite dans sa guerre contre les rebelles houthis du Yémen. Ce qui n’a pas manqué de soulever un débat dans les médias et particulièrement sur les réseaux sociaux où la majorité est contre la décision du président de la République.
Cette guerre n’est pas la nôtre, voilà un très bon slogan si jamais il devait y avoir une manifestation au Sénégal, contre l’envoi de nos Diambars à l’autre bout du monde. Manifestation à laquelle je participerais volontiers si j’étais sur place, à Dakar ou à Kaolack. Oui, j’aimerais qu’il y ait une manifestation monstre dans les différentes régions du Sénégal pour dire non Monsieur le Président, cette guerre n’est pas la nôtre. Partout sur les réseaux sociaux, dans les micros-trottoirs, dans les grandes places ou sous la tente de fortune d’un vendeur de tangana, les Sénégalais, dans leur majorité sont contre cette décision. Moi aussi, je suis contre la décision du président, pas parce que je suis contre le président -au Sénégal l’amalgame est si vite fait. Je suis contre, mais parce que cette guerre ne nous concerne en aucune façon, car en vérité cette guerre ne concerne que les gens du Golfe, les Arabes dans une moindre mesure, alors que viennent faire des Subsahariens là dedans? Comme si nous n’avions pas assez de problèmes dans notre propre sous-région pour ne pas parler à l’intérieur même du pays.
Ils clament qu’ils vont aller combattre le terrorisme, alors dans ce cas pourquoi ne pas le combattre chez nous, ou dans la sous-région? N’oublions pas que l’Arabie saoudite tout comme l’Iran, le Qatar et j’en passe sont les premiers bailleurs de fonds du terrorisme qu’ils prétendent combattre. Le Mali tout proche, avec lequel nous partageons une frontière a connu une crise directement liée au terrorisme. On se souvient encore de ces tristes images de salafistes détruisant des mausolées à Tombouctou. Qu’à fait le président de la République lorsque le Mali faisait face tout seul au péril djihadistes? Pourtant on n’a pas besoin d’être diplômé en géopolitique pour savoir que nous aurions été la cible suivante de ces mêmes assaillants si la France n’était pas intervenue. Combien de soldats sénégalais sont présents au Mali, seulement 500, mais 2 100 de nos Diambars doivent aller dans le Golfe. Si au moins cette intervention était sous l’égide de l’ONU, je n’aurais aucune objection à faire valoir. Je serais le premier à applaudir, car le Sénégal a été et est toujours présent sur plusieurs terrains d’opération dans le monde. Mais ce n’est pas le cas. Certes l’expertise de l’armée sénégalaise est reconnue au niveau international, ce n’est pour rien si nous sommes le 7e pays pourvoyeur de soldats pour les Nations unies, mais il y a quand même une limite à ne pas dépasser. Participer à une coalition de cette envergure est une chose, être le seul à envoyer des soldats au sol alors que le principal intéressé et les pays géopolitiquement concernés se contentent uniquement d’attaques aériennes en est une autre. Il paraît que l’Égypte est toujours traumatisée par son intervention, dans les années 1960 au Yémen. Que penser donc des ces informations faisant état de soldats saoudiens désertant par milliers les frontières ? Où seront positionnés nos soldats ? Ne seront-ils pas mis en première ligne pour servir de chair à canon ? Autant de questions qui me taraudent l’esprit et qui ne peuvent que me conforter dans l’idée que cette décision n’était pas la bonne.
Il paraît que nos Diambars y vont pour défendre la Terre sainte, la Kaaba. Nous ne sommes pas dupes messieurs. N’essayez pas d’attendrir nos cœurs de musulmans, jouer sur la fibre de l’amour que nos compatriotes portent au prophète Mohamed (Paix et Salut sur Lui). Avez-vous la mémoire courte ? Vous rappelez-vous qu’en janvier dernier vous étiez à Paris, pour marcher à côté de ceux qui se sentaient Charlie, pour défendre cette « liberté d’expression » qui donne le droit à certains d’insulter la foi des autres ? Avez-vous oublié que vous étiez vous-mêmes Charlie pour ensuite à votre retour au pays, interdire la publication du premier numéro après l’attentat ? Non, cette guerre n’a rien à voir avec l’islam; l’Arabie saoudite défend avant tout ses intérêts géopolitiques, veut contrer l’influence de l’Iran dans la sous-région. Car c’est bien de cela qu’il s’agit, une guerre de leadership entre deux géants aux idéologies contraires. Vous ne nous duperez pas aussi facilement.
Pour finir, j’espère que vous aurez le courage, l’honnêteté et la décence de dire quelles sont les véritables raisons qui vous poussent à un tel acte. Tous les prétextes bidon annoncés par le ministre des Affaires étrangères ne me suffisent pas. On ne l’a sans doute pas fait au nom d’une quelconque amitié, encore moins au nom de l’islam comme ils essaient de nous faire croire. C’est connu d’avance, les Etats n’ont pas d’amis, ils n’ont que des intérêts; alors, de grâce, jouons cartes sur table et qu’on nous dise combien de dollars valent 2 100 Diambars.
« On nous tue, on ne nous déshonore pas » telle est la devise de l’armée sénégalaise. Ils iront combattre avec courage et honneur comme cela a toujours été le cas, mais j’aurais tellement aimé que ce soit pour une cause plus noble que celle jouer les vassaux d’une puissance du Golfe. J’espère juste qu’ils ne seront pas mis en première ligne et surtout qu’ils n’y seront pas indéfiniment, car on sait toujours quand commence une guerre, mais hélas on ne sait jamais quand et comment elle se termine.
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