Lettre d’un sénégalais lambda à son neveu

18 février 2016

Lettre d’un sénégalais lambda à son neveu

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Bonjour  cher neveu

Comment vont les choses depuis la dernière fois qu’on s’est vu? Cela fait d’ailleurs une éternité qu’on ne s’est pas parlé au téléphone. Il faut dire que le réseau est tellement pourri de ce coté ci du pays que parfois je me demande si ces opérateurs téléphoniques sont au courant de notre existence. Communiquer avec l’extérieur relève souvent du parcours du combattant. Déjà faudrait-il que le réseau t’en laisse l’occasion, lui qui fout très souvent le camp pour aller je ne sais où; laissant la place à Africell le gambien. En parlant de la Gambie, j’aime souvent dire à mes amis que ici, on est plus proche de chez Yayah que du Sénégal. La preuve, même pour écouter la radio là, c’est difficile. On a aucun problème pour capter Capital FM, AfriRadio et trois autres radios gambienne dont je ne rappelle jamais le nom. Mais c’est la croix et la bannière pour écouter RFM, RSi, Sud FM. Seul Walfadjri se laisse écouter facilement mais comme je déteste écouter un journal où les gens ne font que se plaindre, je n’écoute que RFI. Ainsi, j’ai l’actualité mondiale et si jamais il se passe un truc super important du côté de chez vous, je serai au courant.

En parlant de gens qui se plaignent, il parait que ces temps-ci, tout le monde ne parle que de Macky Sall et de son supposé Wax-waxeete. Je dis supposé car selon qu’on soit anti ou pro Macky, la vision change Vu de loin, je me dis que les sénégalais aiment beaucoup parler de sujets qui les divertissent et leur font oublier les choses les plus importantes. Que ce soit 5 ou 7 ans j’aimerais bien que tu m’expliques quel incidence cela aura dans notre quotidien. Le goorgorlou que je suis sera toujours obligé de se dépatouiller pour ramener quelque chose à la maison. Ce n’est pas parce que notre Président ne fera que 5 ans au pouvoir que les Dieg à la maison cesseront de demander leur dépense quotidienne. Alors pourquoi perdre autant de temps et de salive à polémiquer sur une promesse d’un politicien. Ne dit-on pas par ici que « parole de politicien ne vaut pas la peine de battre son fils, encore moins de lui donner la main de la petite dernière de la famille »?
Mon neuveu je suis étonné que les sénégalais soient étonné et surpris par cette décision. Depuis quand les promesses électorales sont elles respectées ici? Ils nous promettent tous monts et merveilles lorsqu’ils sont dans l’opposition, mais une fois au pouvoir, ils font le contraire. Fais comme moi mon neveu, n’accorde jamais ta confiance à un homme politique, n’attend jamais d’eux qu’ils embellissent ton quotidien. Ou alors tu vivras très souvent dans le désespoir.

Bon laissons de côté la politique et passons aux nouvelles du village. Ton cousin a beaucoup grandi. Il devenu très musclé des mollets à force de parcourir des kilomètres chaque jour pour aller au lycée. Tu te rends compte, sur plus de 15 km en allant vers la frontière, il n’y a qu’un seul lycée. D’ailleurs ces derniers jours il économise ses forces car leurs profs sont en mouvement.  On croirait presque qu’ils ne sont jamais satisfaits, à force d’être tout le temps en grève. Et le plus drole, c’est que quand ce ne sont pas les enseignants, ce sont les élèves qui sortent dans les rues soit parce que les salles de classes sont pleines à craquer, soit parce qu’ils leur manquent un prof.
Tu te souviens de la femme de Tapha!? Elle a encore accouché. Elle en est à son huitième ou neuvième, je ne sais plus. La pauvre elle ne doit pas être au courant des moyens de contraception. Cette fois ci elle a accouché avant d’arriver au dispensaire du coin. Tu te rappelle de l’état de nos routes, elles sont toujours pareilles voire pires même. Transporter une femme enceinte en travail sur une charette avec des routes quasi inpraticables, voilà ce à quoi sont confrontées les femmes de la zone.
Pourtant il y a quelques mois de cela des gens habillés en Gillets oranges sont venus dans la zone. Ils prenaient des prélèvements du sol, mesuraient je ne sais quoi et mettaient des inscriptions à différents endroits le long de la route. On pouvait voir des chiffres écrits sur un bloc de pierre ou sur un tronc d’arbre. Les gens d’ici s’entousiasmaient à l’idée de l’arrivée d’une route goudronnée. Ils commençaient déjà à rêver des retombées économiques et de l’amélioration de la mobilité que ça apporterait. Mais avec le temps leur enthousiasme s’est dégonflé. Les hommes en gillets oranges sont repartis avec leurs matériels et leur 4×4 et on ne les a plus revus. J’ai bien peur qu’on doive à nouveau patauger dans la boue l’hivernage prochain. Mais par la grâce de Dieu tout ira bien.

Trêve de descriptions négatives, parlons un peu de toi. Ta situation s’est elle améliorée? La dernière fois que j’ai parlé à ta mère, elle se désespérait de ton cas. Il parait que avec tous tes diplômes tu n’arrives toujours pas à décrocher un boulot. Elle désespère même de réussir à te trouver une épouse. À bientôt 35 ans, il y a de quoi s’inquiéter. Je t’aurais bien proposer de venir travailler avec moi ici aux champs mais même les jeunes du coin préfèrent partir en ville, attirés par ses mirages. Comment pourrai-je convaincre un jeune citadin, diplômé de surcroît, de tout laisser tomber pour retourner à la terre quand les villageois eux même ont peu d’estime pour cette dernière.

Mon cher neuveux, sache que la vie est dure, elle l’a toujours été sauf que de nos jours les choses se sont empirées. Mais heureusement notre destin nous appartient même si il donne souvent l’impression de jouer à cache-cache. Ne perds pas espoir et dit-toi quoi quelque soit ta situation, tu peux t’en sortir. N’attend l’aide de personne, surtout pas de nos politiciens car leurs intérêts sont ailleurs. Notre développement émergence ne se trouve pas entre leurs mains. Tient bon et par la grâce de Dieu, tout ira bien.

Ton Oncle

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