Je suis kaolackois, je ne suis pas un as du vélo

Article : Je suis kaolackois, je ne suis pas un as du vélo
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25 juin 2015

Je suis kaolackois, je ne suis pas un as du vélo

Pour aller livrer mes mangues sans perdre trop de temps, l’utilisation d’un vélo ou d’une bécane est indispensable. Encore faut-il être à l’aise sur ces véhicules…

Il m’arrive souvent de me réveiller tôt le matin et d’avoir toute la peine du monde à me tirer du lit. On dirait que mon corps s’engourdit pendant la nuit, je me sens lourd, j’ai mal au dos et j’ai l’impression que la nuit a filé tellement vite que j’ai à peine dormi. Je me réveille donc encore plus fatigué que je ne l’étais la veille. Et le pire, c’est qu’on se rend vite compte qu’une journée bien remplie nous attend.

Ce matin là, je ne me sentais vraiment pas bien. Non seulement j’avais des courbatures, mais en plus je trainais toujours la migraine de la veille. Et comme si ça ne suffisait pas, un début de diarrhée vint obscurcir encore plus le tableau. Je me disais, ça y est je vais encore tomber malade comme l’année dernière à la même époque.

Pas vraiment un as du vélo…

 

Les heures passaient et toujours aucune amélioration : je continuais à travailler comme si de rien n’était. J’avais fini de trier les mangues, faire sortir celles qui étaient pourries, mettre de coté les plus mûres, les charger dans une cassette que je devais convoyer à Wack Ngouna, une commune à 10 km de Koutango.

Nous nous y rendons fréquemment ces dernières semaines pour y écouler nos mangues. Comme Pa 5 ans et demi* se fait vieux et qu’il ne cesse de se plaindre de maux de reins, de dos, etc., c’est moi qui le remplace à ce niveau Mais voilà, le seul problème c’est que c’était la première fois que je devais transporter un poids aussi lourd. Contrairement à la majorité de mes concitoyens,  je ne suis pas un as de la bécane. Oui je suis de Kaolack, la ville du vélo* par excellence au Sénegal, mais je ne sais pas en conduire. Pour dire vrai, il n’y a pas si longtemps que ça, je ne savais pas conduire une moto. Depuis, les choses ont changé, j’ai eu le temps d’apprendre mais cela ne fait toujours pas de moi un conducteur expérimenté

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Il est presque 11 heures, j’ai fini de remplir la cassette, et il est temps de prendre la route. J’enfourche le « saretou mbam« * de Pa (5 ans et demi), je mets le contact et là je perds plusieurs minutes à essayer d’allumer cette fichue bécane. La journée ne pouvait pas mieux commencer. Démarrage en trombe, zig-zig sur quelque mètres sablonneux avant de retrouver un semblant d’équilibre et j’arrive enfin au portail. Ouf, un peu de répit.

J’ai à peine parcouru 20 mètres, mais je savais déjà l’ampleur de la tache qu’il me restait à accomplir. La porte se referme derrière moi, j’enfourche encore la bécane. Démarrage en trombe à nouveau, à peine quelque mètre parcouru et j’entends un bruit bizarre issu d’un frottement saccadé entre deux objets. Je freine, puis me retourne et je vois étalées sur plusieurs mètres de long toutes les mangues qui se trouvaient dans la cassette. Elle s’était détachée sous le poids des fruit… Et pas n’importe lesquels hein, de grosses mangues dont une seule peut atteindre facilement 1kg. Mangues que je devais ramasser une par une et les remettre dans la cassette, que je rattachais en serrant très fort les élastiques. J’enfourche une fois encore la moto et cette fois ci, je réussis enfin un démarrage en douceur.

Plus difficile de transporter des mangues qu’un passager !

Durant le trajet, je sentais le poids de la cassette qui tirait continuellement vers la gauche. Un sentiment bizarre qui faisait que j’étais constamment aspiré vers l’autre coté de la chaussée. Déjà que la moto en temps normal me donnait l’impression qu’elle tirait elle aussi vers la gauche, cela n’arrangeait en rien ma situation. Je me rendis alors compte que supporter* une personne en moto, n’avait rien voir avec le fait de transporter un objet lourd. Les premiers mètres furent hésitant : je n’osais pas accélérer et prendre le risque de perdre le contrôle. Mais je ne pouvais pas non plus continuer à rouler à deux à l’heure, sous peine de me foutre la honte devant tout le village, particulièrement à ces heures où ceux qui ne font rien – et croyez moi, ils sont très nombreux – sont tous assis sous l’ombre d’un arbre, à tuer le temps.

La route en bitume qui mène à Wack n’est pas en si mauvais état que cela, même si il y a quelques endroits cahoteux qui obligent les conducteurs à rouler tantôt à droite, tantôt à gauche. Sans oublier les endroits sablonneux qui donnent toujours des sueurs froides aux néophites de mon genre. Il y en a trois, dont un que je crains particulièrement. Il se trouve à mi-parcours, une vingtaine de mètres ensablés, impossible à éviter. Ne pensez même pas à essayer de passer sur les cotés : ce serait vraiment une très mauvaise idée. La meilleure solution est de passer au milieu, ce que je fais toujours et qui me réussit à chaque fois avec bien sûr quelques difficultés… Pour cette fois ci, je ne sais pas trop ce qui s’est passé dans ma tête, mais je n’ai pas jugé nécessaire de ralentir. Peut être parce que je ne roulais pas aussi vite que d’habitude. J’ai alors gardé la même allure et je me suis dit que plus vite je passerai, mieux ce serait… mais en fait non, ça m’a pris plus de temps que d’habitude.

Vive le judo…

Les premiers mètres n’eurent aucun impact,  normal si ça se complique dès le début, ça enlève tout le croustillant, puis tout d’un coup le pneu avant commence à vaciller. J’essaie de redresser la barre mais là aussi ça part trop vers la gauche. Je continue ainsi à faire des zig zag sur plusieurs mètres puis, ce qui devait arriver arriva. En une fraction de seconde la moto s’affale sur son coté gauche, toujours ce fichu coté gauche, et me voilà projeté en l’air. Un vol plané qui a été très rapide mais dont je me rappelle les moindres détails.

Sur le coup, j’ai réagi à l’instinct, pas le temps de réfléchir. Pendant la chute, je pose en premier lieu ma main gauche, puis je fais passer ma main droit en dessous de la gauche de façon à ce quelle protège ma tête du sol et là j’effectue une sorte de roulade latérale. Mon pied gauche toucha en premier  le sol puis lorsque vint le pied droite, je m’était déjà redressé, les deux mains en appui sur le sol. Je venais d’effectuer un Mae Ukemi, chute en avant en judo ou quelque chose qui y ressemble. Elle n’était pas exécutée de façon académique mais qu’à cela ne tienne elle m’a quand même tirée d’affaire. Et le plus ironique dans tout ça, c’est que la dernière fois que j’ai porté un kimono c’était il y a plus d’une quinzaine d’année.

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Une fois debout je vérifie automatiquement si je n’ai pas de blessures graves. Les jambes, les avant bras, le dos, je ne ressentais pas de douleurs particulières. Le sac que je portais au dos et dans lequel se trouvait la balance a bizarrement amorti ma chute et ne ma causé aucune blessure. Je me souviens encore du bruit sourd des deux impacts. J’avais juste une égratignure au niveau de la la poitrine faite par le guidon mais sinon rien de très méchant. Le T-shirt blanc que je portais n’était même pas sali par ma chute, mon corps non plus; un véritable miracle. La migraine que je traînais depuis la veille avait disparu sur le coup, de même que les courbatures.

Chose paradoxale vu ce qui venait de se passer, je me sentais presque en pleine forme à part la petite douleur à la poitrine. Par chance il n’y avait aucun témoin de l’accident, donc je n’avais pas à rougir de honte. Si l’incident avait eu lieu un jeudi, j’aurais été l’ordre du jour sur toutes les grands places des environs. La roue arrière de la moto continuait de tourner, elle était encore allumé. les mangues quand à elles s’étaient à nouveau éparpillées et il fallait que je les ramasse encore une fois.

Règle d’or : toujours remonter sur son cheval après en être tombé

J’eus beaucoup de mal à redresser la moto. J’ai d’abord essayé de la pousser jusqu’à un endroit moins sablonneux mais j’ai tout de suite abandonné cette initiative ; la moto étant trop lourde, et le sable ne facilitant pas non plus le boulot. Je me résignais alors à monter dessus. Une fois assis, j’avais presque perdu mes repaires. Il me fallut quelques minutes avant d’avoir la confiance nécessaire pour la faire démarrer. Après tout il me restait la moitié du chemin à parcourir.

On dit souvent qu’il faut remonter  à cheval tout de suite après en être tombé : je confirme. Si je m’étais dégonflé, je ne pourrais plus aller vendre mes mangues et revenir aussi rapidement à moins de casquer 1.500 franc pour que les vélo taxi me ramènent. Depuis cet incident, j’y suis retourné trois fois dont deux pour vendre mes fruits. Certes je ne roule pas aussi vite que les conducteurs de vélo Jakarta qui filent à toute allure, peu importe ce qu’ils transportent (sac de riz, bidon d’huile…) Moi, pour le moment, je ne dépasse pas la troisième lorsque je transporte  mes mangues, mais au moins je parviens à bien négocier les endroits sablonneux sauf quand il s’agit de la route qui mène à Keur Tapha.

  • Pa 5 ans et demi : surnom que mon père adopte. Il préfère dire qu’il rajeunit plutôt qu’il vieillit
  •  Saretou mbam : charette tractée par un âne; se dit d’un moyen de transport que l’on cherche à dévaloriser
  • Vélo : les kaolackois utilisent généralement le mot vélo à la place de moto d’où l’expression vélo taxi ou encore vélo Jakarta
  • Supporter : utiliser couramment dans langage pour désigner le fait de rouler à deux sur une moto.
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Commentaires

Mineto
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